dimanche 8 mars 2015

Baikal Ice marathon

Je ne vais pas de nouveau raconter pourquoi j'ai voulu tant courir le marathon du lac Baïkal et pourquoi c'est si important pour moi.
mon récit du semi marathon 2012 ici

J'ai déjà participé au semi-marathon en 2012 et ce ne fût que du bonheur: soleil, pas de vent, neige et glace qui scintillent et l'arrivée avec un sourire digne de pub dentifrice Colgate.
En 2h43 tout de même avec les chronos de 2h10 à l'époque pour un semi dit "normal".
Trois ans sont passés depuis, je me suis considérablement améliorée en course à pied et ça me permet d'espérer de boucler ce marathon au moins en 6 heures (temps limite). Mais j'y vais avant tout pour retrouver ma maman et ma famille.

Les nouvelles concernant le marathon ne sont guère réjouissantes: cet hiver était extrêmement doux pour la Sibérie: - 8° ou -10° tout au plus ce n'est pas suffisant pour que ce lac immense gèle.

Début février je reçois un e-mail de la part de l'orga qui précise que le lac n'était quasiment pas gelé au 26 janvier, la glace a commencé à se former activement début février.

Mi-février un nouvel e-mail pas beaucoup plus rassurant qui précise que c'est dangereux de sortir sur la glace près de Listvyanka: un skieur est tombé sous la glace. Ceci est accompagné de vidéo du skieur malheureux qui était équipé d'une Go Pro.
http://www.arcinfo.ch/fr/monde/lac-baikal-la-glace-cede-sous-les-skis-d-un-fondeur-577-1419647

Ils ont pas peur les organisateurs de rebuter la moitié des participants avec ça?

cependant ça ne me préoccupe pas, j'ai des problèmes relativement sérieux avec mes billets d'avion et j'ai peur de ne pas y aller tout court. 2 semaines d'angoisse (je dors mal et j'ai des sueurs) mais finalement tout se passe bien et après 3h10 de vol Paris-Moscou, 5 heures d'escale et 5h15 de vol Moscou-Irkoutsk, j'atteris.
Bizzarement en regardant par le hublot je n'éprouve aucune émotion, je suis vidée.
Les émotions surgissent quand je vois ma maman de 88 ans et mon cousin (soulagement, je pensais être dépourvue d'une âme).

Le 28 février après une semaine de séjour chez ma maman qui me pouponnait (et moi qui ne sortais pas dehors par peur de chopper la crève) nous nous rendons à Listvyanka (lieu de départ ou bien de l'arrivée du marathon), c'est variable selon les années.
La météo est idéale: 0°, pas de vent et grand soleil, la glace qui brille, c'est la carte postale.
Je m'apprête à vivre le lendemain la même chose qu'en 2012.

Cependant au briefing le soir on nous précise bien que la météo au lac Baïkal est bien trop changeante, imprévisible, vent très fort possible surtout vers la fin du parcours. Le directeur déconseille des yatrax ou des intrax pour ceux qui n'ont pas l'habitude de courir avec: le majeure partie du parcours est couverte de neige et sur la neige ça ne sert à rien et peut gêner plus qu'autre chose.
Je fais connaissance avec quelques coureurs: Alexei et son adorable épouse et une autre coureuse qui comptent sagement courir le semi marathon.
Alexei fait aussi du triathlon et porte sur son poignée la 920 XT. déjà qu'elle n'est pas donnée en France, en Russie elle coûte un tiers plus cher!
Ma nuit est quasiment inexistante: trois heures de sommeil et après impossible de fermer l'oeil. heuresement il y a le wi-fi et facebook pour papoter avec les copains et copines en France (avec le décalage horaire). Marathonnerre m'apprend même qu'ils comptent prochaînement organiser un triathlon (en été, hein ;) ) Sarma triathlon
Bon, cela suffit les amis! =D

Enfin le jour se lève et la vue n'est pas du tout féerique: c'est gris, il y a du vent, il fait -12° ou -15°, la splendide chaîne de montagnes de l'autre côté: mais où est elle?
Nous nous dirigeons vers les overcrafts (aéroglisseurs) qui doivent nous emmener sur l'autre rive: 42 km. de trajet. Nous sommes 6 dans l'overcraft: une coureuse russe, un autre coureur russe qui discute avec son copain,brésilien, il me semble et qui affiche un maillot ironman en dessous de sa veste. A coté de moi un  français qui vit à Moscou.
Heuresement que nous n'avons pas le mal de mer parce que ça secoue beaucoup et l'overcraft avance soit droit, soit en crabe, pourquoi je ne sais strictement rien. La traversée a duré environ 1 heure. ce qu'on voit par "la fenêtre" semble hostile.

Vers l'arrivée on aperçoit qu'il neige pas mal. A la sortie nous sommes invités dans un bâtiment au bord du lac.  Ce bâtiment a été construit l'année dernière. Avant les coureurs se gêlaient dehors en attendant le départ.
Cette année le nombre record des participants: 180 dont une quarantaine pour le semi-marathon. (les éditions précédentes c'était 100-120, voire moins). L'organisation a reçu plus de 600 demandes d'inscription. Bien qu'ils s'améliorent de l'année en année,ils ne peuvent pas accueillir énormément à cause des problèmes logistiques (notamment le transfert par overcrafts).
Avant le départ nous sommes gâtés: thé, café, gâteaux, bonbons. Il y a des toilettes. 
Bon qui veut encore participer au marathon de Paris? (je rigole ;) ).
J'hésite longuement à mettre mes intrax et je les mets finalement dans mes poches au cas où...
(encore pleine de rêves et d'enthousiasme)
Enfin nous sommes invités vers la sortie: là c'est pas vraiment de la joie: il y a du vent et il neige. ça parle toutes les langues et un drone nous survole. Tout le monde est excité et exalté.

La tradition veut que chacun prenne un petit verre de lait, trempe son annulaire dedans et asperge les "quatre points cardinaux" en demandant au lac Baïkal de traverser son royaume. Le lac Baïkal est considéré ici comme un être vivant, majestueux, magique qui peut être sublime comme cruel, on ne conquiert jamais son espace, on peut juste demander la grâce.
Je crois que j'aurai un aperçu... même plus.

Un, deux, trois c'est parti!
Dès les premières foulées je comprends que ça va être très difficile: vent, neige qui colle aux lunettes et les pieds qui s'enfoncent jusqu'aux chevilles (15-20 cm. de poudreuse). Là ce n'est pas le patinage sur la glace mais le patinage dans la semoule. J'avance comme je peux. Le long serpent de coureurs se dessine devant moi.
2-3 km. après je jette un coup d'oeil à mon garmin, la vitesse moyenne n'excède pas les 6,5 km/h. Le moral en prend un coup. Par endroits nous traversons les fissures bien consolidées mais la neige et plus profonde et les blocs de glace ressortent en dessous. Par précaution je marche en traversant ces endroits. Nous avançons dans une tempête de neige. 


Au km. 5-6? je trébuche, un coureur juste derrière moi s'inquiéte (It's OK?) Je ne sais pas pourquoi je réponds OUI (le français maintenant c'est plus naturel pour moi que le russe). Il continue de me parler français. Ah, vous êtes français? On fait évidemment connaissance.
Il s'appelle Jean-Pierre et vit à Moscou depuis 14 ans. Je m'appelle Tatiana et vis en France depuis 18 ans. On en conclut que c'est le monde à l'envers!

  (credit photo Maria Shalneva)

Je fais part à Jean-Pierre de mes doutes de pouvoir terminer ce marathon parce que la vitesse moyenne ne permet pas d'espérer 6h00 (temps limite). Il me rassure en me disant qu'il a fait ce marathon en 2011 et on l'a laissé terminer en plus de 7h00. ça me met un peu de baume au coeur.
Je me retourne et lui dis: il y a encore plein de coureurs derrière nous.
Jean-Pierre me dit que ça peut être trompeur puisque en 2011 c'était pareil pour lui mais c'étaient les coureurs du semi et il est reparti tout seul pour l'autre moitié...
Hum, c'est réjouissant.

Jean-Pierre me fait remarquer que mon lacet gauche est défait, je m'arrête un peu et lui, il prend les devants.
1er ravito km. 10: noix chocolat, morceaux de fromage, fruits secs, thé. Je prends un peu de tout et 2 tasses de thé tiède. Le chocolat est très dur. On peut le casser et laisser fondre dans la bouche.
La neige s'arrête. J'ai bon espoir que ça deviendra plus facile de courir mais non c'est toujours pareil, c'est pas la surface damée comme en 2012.
Je rattrape tour à tour 2 coureuses russes et discute un peu avec.

Regarde mon chrono, il me semble qu'il s'est arrêté mais non c'est moi qui n'avance pas.
Semi marathon: déjà douleur à la hanche et tiraillement au tendon du genou.
Chrono: 3h23 (contrairement à 2h43 en 2012 et j'étais beaucoup moins rapide à l'époque). Les gens "sensés" diraient qu'avec un tel chrono au semi il faudrait arrêter le massacre mais de nature optimiste, je pense que ça ira mieux après et repars avec 2 jambes en bois.
Mes lunettes avec les verres oranges donnent à cette immensité blanche l'air un peu "ensoleillé" mais quand je regarde par dessus: c'est blanc à droite, c'est blanc à gauche, devant, derrière, on ne voit pas l'horizon, ni évidemment la chaîne de montagne qui sert "de ligne d'arrivée". Bizzarement je ne m'ennuis pas du tout.
Tout un tas de pensées positives comme négatives me traverse l'esprit. C'est un joyeux bazar dans ma tête.
Ma cagoule intégrée au maillot s'est transformée en croûte de glace, je la remplace par le buff. Le buff est humide de transpiration mais ne gèle pas.
Tout d'un coup j'entends le bruit très sourd venant des profondeurs. C'est la glace qui bouge. Rien ne se passe à la surface mais je cours plus vite, pas envie de voir une fissure se former sous mes pieds.

Km 28: Ravito et une nouvelle tempête de neige. Vous avez le choix: soit vous montez dans l'overcraft, soit vous continuez. Je demande: j'ai vraiment le choix? je peux continuer?
Ils répondent: on a reçu aucune instruction, les conditions sont extrêmes aujourd'hui.
Ben je continue. Il y a encore 5 coureurs derrière moi (enfin ceux qui sont visibles et je voyais encore il n'y a pas longtemps avant la 2ème tempête) et une dizaine de coureurs 1 ou 2 km. devant. Et puis si ça ne va pas on pourra toujours m'arrêter au prochain ravito (km. 35).
Le tempête durera environ 2 km.
  (credit photo Maria Shalneva)

Après il y a une éclaircie, même le soleil perce. je suis doublée par 2 coureurs.
Ravito du km. 35: tout ce qui est sur la table est couvert de neige. Sauf les noix. je prends des noix, 2 tasses de thé et c'est reparti.
C'est reparti....

7 km., c'est pas beaucoup 7 km? C'est presque fini et on peut même distinguer l'hôtel. Normalement en 1h00 et des brouettes ça doit être bouclé si on y met un peu d'effort?

Je n'ai jamais vécu les 7 km. les plus longs de ma vie..... Le vent latéral commence à souffler extrêmement fort. C'est "le mistral" par -10°. Ma veste se transforme en croûte. Heuresement elle est absolument impérméable au vent.
Je suis ratrappée par Jean-Pierre (que j'avais dépassé je ne sais plus à quel km.) C'est quand même rassurant de ne pas être seule perdue au milieu de nulle part. On discute des marathons qu'on a fait, il en est à son 58? (Jean-Pierre a plus de 60 ans et compte faire 100 marathons). Je suis à mon 10ème.

6 km. avant l'arrivée il commence d'abord partie blocs de glace dans le blizzard pas possible.

J'en peux plus et Jean-Pierre de nouveau part devant.
Ensuite il commence l'alternance de glace et de neige, partie dite "patinage artistique".

  (credit photo Maria Shalneva)

Je n'ai pas de crampons, bien que les intrax sont dans mes poches, c'est tout bonnement impossible de sortir les mains des gants au risque de les perdre dans la minute qui suit par le vent qu'il y a.


Vers la fin la luminosité est incroyable mais je ne peux pas sortir l'appareil photo non plus.
   (credit photo Maria Shalneva)
Je glisse sans arrêt, j'ai peur de tomber, même quand il y a les plaques de neige ça glisse en dessous.
Le neige déferle sur la glace noire avec des fissures à l'intérieur.





Par moments de nouveau j'entends des bruits sourds. C'est surréaliste. Là je suis incapable d'aller plus vite, ou peut être capable mais j'ai vraiment peur de tomber et que ça se termine ainsi. Je ne prendrai aucun risque. Je n'ai pas fait tout ce chemin pour éclater ma tête contre la glace. J'avance en marchant tout doucement. 2 km; avant l'arrivée je suis doublée par les 2 derniers coureurs.
ça ne ne se termine pas, je chiale sous mes          

 Crédit photo Masaki Nakamura
lunettes en répétant toutes les deux secondes: s'il vous plaît, s'il vous plaît, laissez moi terminer. En fait c'est pas l'orga que je prie de me laisser terminer, c'est le lac Baïkal que je supplie.
300 m. avant l'arrivée un moto-neige approche derrière moi et me propose de monter, je fais juste un signe de main: non.
Mais ça va pas ou quoi?
100 m. Un bénévole m'aide à traverser les planches glissantes posées audessus d'une fissure et me dit: vas-y, là tu dois terminer toute seule.
Je me jette dans les bras de bénévoles qui m'annoncent 7h36 et me décernent le prix "de dernier": breloque un chat qui a attrapé un poisson :) (en fait j'étais même pas la dernière, un coureur est arrivé juste derrière moi, je ne l'ai pas vu). Je chiale dans les bras de mon cousin et de ses amis qui m'attendent à l'arrivée (et moi qui pensais de ne plus jamais pleurer après les marathons). A l'hôtel c'est ma maman qui m'attend et qui a vu mon arrivée. Ma veste orange pétant se voyait de loin.
Mes proches sont là, me félicitent. Je suis prise par les tremblements et mes mains ça donne ça:

On se rend à la soirée de gala très en retard et je cherche mon diplôme parmi les restants.
On m'annonce mon nom et me délivre ma médaille et mon diplôme.
Je n'ai pas de forces pour rester manger. et on me livre mon polo de finisher 1 heure après directement dans la chambre.


Je suis très contente d'arriver au bout, d'avoir accompli mon rêve (qui s'est transformé un peu en cauchemar il faut le dire), non je ne suis pas sur mon nuage comme je l'étais il y a trois ans.
C'était une belle leçon d'humilité et ça pemet de remettre les idées en place.

le lendemain le petit déjeuner, toute une tablée de coureurs pose la question au directeur: et le dernier a terminé en combien?
Je lève la main: c'est moi en 7h36 au compteur.
Bien évidemment je ne suis pas lapidée mais chaleureusement félicitée pour mon courage..
Il y a des courses comme ça où le seul but c'est d'arriver au bout.
Et puis Jean-Pierre me félicite aussi, par ailleurs je ne l'aurais même pas reconnu: affublés comme nous étions ;) avec des lunettes et des cagoules. Il m'a reconnu parce que je lui ai parlé de ma maman et elle était à coté.
Je remercie le directeur de m'avoir laisser terminer. Il répond que les conditions étaient extrêmes et le temps limite a été supprimé. De plus c'étaient les conditions les plus difficiles depuis le début (pour cette XI édition).
Ouahh j'ai bien choisi mon année. J'ai payé pour courir dans les conditions extrêmes, j'ai eu pour mon argent, je crois...

Le plus difficile de ce voyage: ce n'est pas le marathon mais voir ma maman si diminuée physiquement à 88 ans bien qu'elle arrive encore à s'en sortir pour l'instant en vivant seule...
Bref, j'ai pris une "belle claque".
Mais c'est la vie...

Photos Masaki Nakamura
Photos Maria Shalneva

3 commentaires:

  1. belle leçon de courage,respect Tati

    RépondreSupprimer
  2. Je suis frigorifiée et glacée rien qu'en regardant les photos ... Je n'aurais jamais pu le faire. Bravo et prend ton temps pour "digérer" cette expérience ... aventure même ... incroyable ...

    RépondreSupprimer
  3. Bravo Tati! Toutes mes félicitations pour cette course incroyable. Tu t'es vraiment construit un mental d'acier, ça m'impressionne.
    Moi pendant ce temps j'accueillais ma poupette dans ce monde...En te lisant j'ai hâte de pouvoir reprendre le sport.
    Encore bravo!
    Tranquillecool

    RépondreSupprimer